dimanche 10 mars 2013

Article de Marianne sur les IMPOSTEURS


Comment les imposteurs ont pris le pouvoir

Vendredi 25 Janvier 2013 à 10:57 | Lu 21118 commentaire(s)

Journaliste à Marianne, entre société et culture 

Au travail, à la télévision, en économie, en politique, dans les sciences, les arts ou la littérature, les fausses valeurs ont la cote. Et cela n'a rien d'un hasard. Explications.


YAGHOBZADEH RAFAEL/SIPA

YAGHOBZADEH RAFAEL/SIPA
Ils se sont faufilés et imposés dans tous les recoins de la société, tels des envahisseurs d'un nouveau genre : les imposteurs sont parmi nous. On les croise chaque jour au travail. On les subit dans les dîners. On les entend à la télévision. On lit parfois leur prose. Ils nous envoient dans le mur en prétendant nous sauver de la crise. Il nous arrive même de voter pour eux ! Virtuoses des apparences, éponges des valeurs de leur temps, les imposteurs vivent à crédit - celui que les autres leur accordent.

Ces caméléons nous abusent volontiers par leur apparence «normale». A en croire le psychanalyste Roland Gori, qui vient de publier un essai salvateur, la Fabrique des imposteurs, c'est d'ailleurs dans cette «normalité» que se cache leur vice. A la fois conformiste et opportuniste, l'imposteur se coule toujours dans le moule pour mieux duper son monde. C'est un «martyr» de l'époque, un pur produit de la culture de l'Audimat qui vibre au rythme des sondages et des secousses de l'opinion. Quand l'intérêt individuel supplante le souci général, quand les apparences l'emportent sur le fond, la performance sur le sens, la réputation sur le travail, la popularité sur le mérite, l'opinion sur les valeurs, alors le terreau est prêt pour que les imposteurs nous gouvernent. C'est Harlem Désir, désigné par un simulacre d'élection à la tête du PS. C'est Copé et Fillon qui se disputent avec obscénité une présidence : le premier s'autoproclamant vainqueur avant même que les résultats ne soient tombés ; le second se plaçant toujours dans le sens du vent, séguiniste sous Séguin, balladurien sous Balladur, chiraquien, puis sarkozyste. Et jusqu'au chef de l'Etat qui - magnifique posture, magistrale imposture - se prétend «normal»... «Le président "normal", c'est totalement antipolitique ! s'exclame Roland Gori. Le principe même de la politique, c'est de se distinguer d'une police des normes.» Car il est impossible d'innover sans s'extraire des normes du passé, sans les faire évoluer. Surtout ne rien bousculer, tel est le premier impératif au pays de l'imposture.

L'imposteur sait qu'il est inutile de perdre son temps à réfléchir, à créer, à prendre des risques. Sur quels critères va-t-on m'évaluer ? Comment séduire ceux qui peuvent œuvrer à mon ascension ? Comment me mettre en scène ? Voilà les seules questions dont il se préoccupe. Peu importent la qualité ou la vertu qu'il lui faudra usurper à toutes fins utiles. Après tout, se dit-il, nul ne songe à vérifier l'authenticité de la plaque que le médecin accroche à sa porte. Personne non plus n'est allé sonder l'âme des associatifs «altruistes» de l'Arche de Zoé, prêts à organiser un trafic d'adoption d'enfants pour sauver des «orphelins» du Darfour qui n'étaient ni orphelins ni du Darfour. Parmi les valeurs en vogue, l'écologie est une aubaine pour les apprentis imposteurs.

La navigatrice Maud Fontenoy a sorti autant de livres qu'en compte la collection des «Martine»(Mon bébé écolo, Ma maison écolo, Mes vacances écolo...). Mais, dans la vraie vie, l'«ambassadrice des océans» ne crache pas sur un aller-retour express au Groenland pour poser devant les objectifs avec Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'Environnement. L'empreinte carbone, quelle importance ? Comme d'autres, Maud Fontenoy s'est dégoté un combat ; et, surtout, elle a compris qu'il s'agissait de ne jamais quitter le feu des médias.

C'est avec le même opportunisme que Frigide Barjot, la joyeuse fêtarde touchée par la foi dans les années 2000, a enfourché la cause porteuse du moment pour s'opposer avec fracas à la loi sur le mariage homosexuel. Peu importe si, en 2007, la nouvelle égérie catho(dique) célébrait avec enthousiasme, dans une boîte de nuit parisienne, le mariage symbolique de l'élu PS Jean-Luc Romero et de son compagnon. Le faire-part de l'union «pour le meilleur et pour le rire, pour l'amour et l'humour», signé entre autres par la Barjot, fait aujourd'hui la joie des réseaux sociaux.

Dans un autre registre, Charles Beigbeder, ex-patron à succès (Selftrade, Poweo), a lui aussi les convictions à géométrie variable. Sur le site Web du «Pacte pour la France» qu'il promeut, il se flatte depuis quinze ans d'avoir développé «des entreprises qui créent des emplois». Vite dit ! La dernière en date, Happytime, qui salariait 36 personnes, a été liquidée l'été dernier, entraînant dans sa chute son prestataire informatique, CincoSenso. «La soudaineté de cette liquidation et l'absence d'informations sur la mauvaise santé de Happytime ne nous ont pas permis de nous retourner», regrette Stéphane Degonde, le cofondateur de cette PME à laquelle Beigbeder a laissé une ardoise de 212 000 e. Recasé au bureau politique de l'UMP, l'intéressé continue pourtant de donner des leçons d'entreprenariat à la France... 

BLUFF ET CULTE DES APPARENCES

Quand la télévision, ou la presse écrite, se penche sur les tendances de la restauration, Bernard Boutboul sort ses chiffres, issus d'enquêtes forcément confidentielles, et donc invérifiables. Or, cet «expert» qui se félicite avec bagout de la constante amélioration de la qualité de la restauration rapide est tout sauf neutre. Sa société, Gira Conseil, vend en effet ses conseils marketing aux marques dont il vante les progrès, notamment Cojean, Exqi et... McDonald's !

A l'autre extrémité de la chaîne alimentaire, Pierre Dukan s'est imposé comme gourou des régimes en faisant avaler du surimi et des galettes de son d'avoine à ses millions d'adeptes. Le terrible effet rebond de la recette «miracle» et les risques qu'elle entraîne sur la santé n'ont pas empêché le médecin de s'enrichir en vendant des millions de livres et de produits estampillés de son nom. Commercialiser sa signature, tel est également le business model de Ben, artiste à prétention autrefois subversive, proche d'Yves Klein et de Combas, qui rackette aujourd'hui les lycéens en signant posters, tee-shirts, trousses ou cahiers. Une démarche symptomatique de l'imposture artistique contemporaine qu'il justifie sans détour en affirmant : «Je crois que l'art est dans l'intention et qu'il suffit de signer. Je signe donc : les trous, les boîtes mystères, les coups de pied, Dieu, les poules, etc.»

Dès 1967, Guy Debord dénonçait la société du spectacle* - bien avant l'invention de Facebook, Twitter ou des chaîne tout-info ! Soumises à cet impératif étrange qui consiste à «tenir l'antenne» vingt-quatre heures sur vingt-quatre, BFM, iTélé et consorts nourrissent quelques belles impostures. Pendant l'affaire Merah, en mars 2012, les dizaines de reporters postés devant l'immeuble de l'assassin en embuscade ont arraché aux téléspectateurs des commentaires excédés ou compatissants : trente-deux heures de direct sans savoir quoi raconter, admirez l'exploit.

Réagir à chaud, commenter l'actualité, certains ont fait de cette nouvelle discipline médiatique leur spécialité. N'importe quel bougre présentant bien et sachant manier la formule qui fait mouche peut s'attendre à être sacré «éditorialiste», spécialiste de rien mais expert en tout. C'est ainsi que les spectateurs d'iTélé ont eu la joie d'entendre un certain Félix Marquardt les éclairer de ses lumières sur le duel entre Jean-François Copé et François Fillon. Le métier de sieur Marquardt ? Organiser des dîners mondains. Des sauteries alcoolisées où patrons et journalistes vedettes se tapent la cloche avec un ou deux rappeurs. Autant dire que son expertise sur les magouilles de l'UMP est à peu près nulle, mais peu importe, sa petite barbe de trois jours et son sourire Ultra Brite passent bien à l'image.

Félix Marquardt n'est que le symptôme d'un système fondé sur le bluff et le culte des apparences. «Pour peu que l'on ait moins de 40 ans et une bonne tête, on est d'autant plus facilement invité dans les émissions de débat», reconnaît, en off, un autre chroniqueur télégénique. L'invitation se fait par SMS : «Seriez-vous disponible ce soir à 19 heures ?» Le thème de la discussion n'est pas annoncé lors de cette première approche – il est entendu que c'est secondaire. «Les salles de maquillage, c'est un peu le dernier salon où l'on cause... On croise un homme politique qui discute avec un publicitaire, on salue un journaliste croisé sur un autre plateau, poursuit le jeune homme. Le journalisme, c'est un microcosme. Il faut conserver de la visibilité. Sinon, on vous oublie.» Etre oublié, ne plus participer au show : un châtiment d'une intolérable cruauté.

Même dans une profession – le journalisme – dont la mission première ne releva pas toujours du spectacle. Résultat ? Chaque année, le baromètre TNS-Sofres de confiance dans les médias rappelle que de 50 à 60 % des Français estiment que les journalistes ne sont pas indépendants face aux pressions de l'argent, et qu'ils ne savent pas résister aux sirènes du pouvoir. Sur Internet, les blogueurs endossent le rôle de vigie et se déchaînent contre les impostures trop voyantes. Mais, paradoxalement, à l'heure de la prétendue transparence dictée par la Toile et les réseaux sociaux, la dénonciation des fraudes entraîne peu de conséquences. C'est sans doute pourquoi les économistes n'ont pas été lynchés en place publique !

A côté des intellectuels, des journalistes et des psys, la crise a en effet poussé au premier rang du bataillon des imposteurs de nouveaux «experts» : les économistes. Dans les Imposteurs de l'économie, le journaliste Laurent Mauduit, collaborateur de Marianne, relève à quel point ils bénéficient d'une étonnante indulgence de la part du système médiatique. Quels que soient le nombre et la récurrence de ses erreurs d'analyse, l'économiste continue à courir les plateaux tel un oracle vivant. Ces «agents de la pensée unique», comme les appelle Laurent Mauduit, sont présentés comme des chercheurs indépendants, alors même que certains d'entre eux exercent des responsabilités dans de grandes banques d'affaires. Mais les médias restent friands de ces «bons clients» qui remplacent l'enquête quand il faut aller vite.

FRAUDER, MENTIR, USURPER

Il serait pourtant injuste – et autoflagellateur – de limiter l'imposture au champ médiatique. L'apparence étend son règne dans tous les champs socioprofessionnels. Dans l'entreprise, ceux qui savent présenter leur (absence de) travail sous un jour favorable progressent plus vite dans la hiérarchie que les laborieux qui œuvrent dans l'ombre sans mettre en avant leurs réalisations. Sonia, 37 ans, marketeuse dans une entreprise de cosmétiques, confesse que son ascension professionnelle a essentiellement reposé sur son talent pour la mise en scène : «Je dirais que 70 % de mon temps est consacré à préparer les réunions. Je suis devenue une pro du logiciel PowerPoint, je passe des heures à peaufiner mes présentations !» Dédier plus de temps à soigner le reporting qu'à bosser ses dossiers est le meilleur moyen de booster une carrière, les imposteurs de bureau l'ont bien compris.

Ils le doivent pour beaucoup à certaines méthodes de management. La DPO (direction par objectifs), par exemple, fixe des objectifs individuels à chaque salarié - tant de nouveaux contrats, tant de pour-cent d'augmentation des ventes -, sans égard pour la dimension collective que l'on croyait propre à l'entreprise. C'est sur ces résultats chiffrés, prétendument objectifs, que les travailleurs sont notés. Dans l'industrie, l'instauration des fameuses «normes ISO», ces critères d'évaluation de qualité totale, est supposée garantir des produits et des services sûrs et fiables. Mais l'aspiration à la qualité absolue nécessite de cacher les défauts éventuels.

Les normes et les évaluations, omniprésentes - «depuis l'évaluation des risques du fœtus jusqu'à l'évaluation des marchés par des agences de notation financière, en passant par l'évaluation des enfants à risque dans les classes de maternelle», écrit Roland Gori -, produisent un véritable carcan qui freine la créativité et nourrit l'imposture généralisée. Car, lorsque les grilles d'évaluation imposent des objectifs impossibles à atteindre, pour survivre, il faut frauder, mentir, usurper. «Dans ce contexte, les individus sont amenés à tricher, à maquiller leurs résultats, analyse le sociologue Vincent de Gaulejac. Tout le monde le fait, même au niveau de l'Etat : les ministères maquillent les statistiques pour que leurs résultats correspondent aux objectifs. Ce qui est dramatique aujourd'hui, c'est qu'il y a de l'imposture sans imposteurs puisque c'est devenu un système.»

Le demandeur d'emploi qui «embellit» son CV pour trouver du boulot n'a pas le sentiment de commettre une imposture. Selon l'institut de ressources humaines Florian Mantione, 75 % des CV seraient «trompeurs». Ils le sont d'autant plus à mesure que les compétences requises s'éloignent de gestes techniques : plus facile de s'improviser manager qu'ébéniste. Créer son personnage, arranger un peu la réalité sur son profil Facebook, faire du personal branding, c'est le jeu - puisque de toute façon tout le monde triche !

Pourquoi s'en plaindre quand tous, ou presque, nous nous rendons complices de ce phénomène ? L'imposteur, pour prospérer, a en effet besoin d'un public. Et, plus le public est en situation de vulnérabilité, sociale ou psychique, plus il se montre disposé à suivre ces maîtres usurpateurs. Entre toutes, les situations de crise sont de formidables occasions de voir émerger des experts de la vie quotidienne et professionnelle. Ce sont par exemple les «consultants» appelés à la rescousse par les dirigeants d'entreprise qui pataugent, pour analyser les raisons du naufrage et émettre des recommandations de remise «aux normes». Ce sont aussi les coachs, le non-métier par excellence, obligés d'emprunter un mot à l'anglais pour se donner un contour.

Grâce à eux, on peut espérer apprendre à «gérer» ses émotions, un deuil, son stress, son collègue psychopathe, les conflits... de la même façon que l'on gère ses comptes. «Il ne s'agit pas de dénigrer la pratique de ces gens, car mieux vaut un bon coach qu'un mauvais psy, nuance Roland Gori. Mais le coach, c'est l'introduction du paradigme de l'entreprise dans tous les domaines.» Y compris dans un domaine qui, entre tous, devrait résister à la rationalisation : celui du sentiment amoureux. Le 13 décembre dernier, un coach en «art de séduire» délivrait ses conseils aux auditeurs de France Inter : «Savoir séduire, c'est savoir communiquer. On est sur un marché, mon rôle, c'est un peu le rôle d'un marketeur. Je suis comme un chef de produit, je prends mon bonhomme, je dois en faire le meilleur produit possible sur son marché.» Ou comment calibrer la séduction comme on calibre des tomates.

Au prix de cet abyssal déficit de sens, véritable mal du siècle qui paralyse nos sociétés, l'imposture a fini par exercer une tyrannie qui nous gangrène. Seuls l'ambition de la culture, le doute salutaire et l'audace de la liberté partagée peuvent nous permettre de recréer l'avenir.

* La Société du spectacle, de Guy Debord, 1967, Folio. 

LITTÉRATURE : DU FAUSSAIRE AU BEST-SELLER

En littérature, l'imposture n'est pas un crime : elle fournit même souvent des best-sellers. Et qu'importe s'il faut pour cela faire appel à un nègre ou emprunter des éléments à d'autres sans leur consentement. L'imposture littéraire relève parfois de la simple farce, à l'instar de Nat Tate, la bio d'un «peintre oublié» qui n'a jamais existé que dans l'imagination de William Boyd. L'objectif de l'écrivain ? Dénoncer l'absurdité qui régit le milieu de l'art. Le livre sera lancé dans les studios de Jeff Koons, le 1er avril 1998. Une œuvre de l'artiste, signée en réalité par Boyd, sera même vendue à Sotheby's ! Parfois, l'auteur se met en scène et se la raconte en racontant. Ainsi James Frey défraya-t-il la chronique en 2004 avec son autobiographie, Mille morceaux, encensée avec émotion par Oprah Winfrey. «S'il veut décrire la souffrance, l'écrivain doit la connaître. Je suis un survivant ayant surmonté la drogue et des désastres personnels», confie-t-il alors. Trois millions et demi de lecteurs se passionneront pour sa rédemption. Malheureusement, tout était bidon. Restait un bon roman : tenant compte de son talent, certains le surnomment depuis lors «l'imposteur pardonné».

Quand l'invention touche à la Shoah, la démarche devient plus dérangeante. Après Jerome Charyn, c'est Janusz Glowacki qui s'attaque ainsi à la figure très controversée de Jerzy Kosinski, né en 1933 à Lodz. Son roman, Good Night, Djerzi ! (Fayard) est aussi rock'n'roll que la vie de ce menteur compulsif qui, dans l'Oiseau bariolé (1965), se présentait en garçon juif martyrisé par les Polonais. L'ouvrage se vendit dans le monde entier. Ce mensonge relevait-il d'un sauvetage identitaire ou d'une véritable pathologie ? Le cas de Misha Defonseca laisse tout aussi perplexe.

Son autobiographie, Survivre avec les loups, fut traduite en 18 langues et adaptée au cinéma par Véra Belmont. Elle livrait le récit d'une enfant juive qui traversait l'Europe pour retrouver ses parents, protégée par une meute de loups qui la sauvait de la cruauté des hommes. «J'ai souffert de ne pas être perçue comme survivante, parce que je ne reviens pas des camps», confia-t-elle un jour à la revue Regards. Las, cette Belge avait tout inventé, y compris sa judéité. Fasciné, Lionel Duroy a publié en septembre dernier une enquête (éd. XO) sur sa véritable histoire. L'intro du psy Boris Cyrulnik explique que, «quand le réel est fou, un enfant se réfugie dans la mythomanie.»

Celle de Romain Gary qui se dédoubla en Emile Ajar reste dans les annales. Elle démontre que, tel Frankenstein, une créature fictionnelle peut à jamais piéger son créateur.

SCIENCE : RIEN NE RESSEMBLE PLUS AU VRAI QUE LE FAUX !

Einstein, que n'as-tu dit ? Avant de soutenir que l'imagination était plus importante que le savoir, le grand Albert aurait été bien inspiré de tourner sept fois son photogénique organe dans sa bouche. Car d'imagination les «inexacts de la science» regorgent. La conversion de la recherche contemporaine à la culture du résultat, fût-il pipeau, favorise il est vrai leur prolifération. Copier, coller, tordre le réel comme Uri Geller les cuillères, publier dans des revues de prestige, battre le tam-tam médiatique sur l'air de l'«eurêka» d'Archimède : voilà résumé le discours de la méthode des bouffons du savoir. Le Dr Vishwa Jit Gupta a atteint des sommets : plus perché que les cimes indiennes qu'il scruta pendant vingt ans, ce géologue de l'université du Pendjab a revendiqué moult trouvailles bidons. Les fossiles qu'il labellisait «100 % himalayens» provenaient d'un peu partout, Himalaya excepté. Obnubilé à l'idée de «laisser une trace», Gupta a fini lapidé par la revue Nature en 1994.

C'est au Mainichi Shimbun, quotidien nippon, que Shinichi Fujimura doit d'être tombé au fond du trou. En 2000, ce journal a diffusé des clichés de ce médiatique archéologue enfouissant de ses petites mains agiles les outils préhistoriques qu'il prétendait avoir découverts du côté de Fukushima. «Compétition et course aux subventions incitent à la corruption», a-t-il plaidé. En 2002, Jan Hendrik Schön, prodige de la physique allemande, est licencié par les laboratoires Bell. Eligible au Nobel, le génie des supraconducteurs a falsifié des données, plagié des travaux, biaisé des conclusions. Des manipulations relayées dans des articles qu'il cosignait frénétiquement avec des pontes des nanotechnologies : flattés par ce concubinage éditorial, ces derniers validaient. Autre «révolution», autre trucage : pape du clonage, le Coréen Hwang Woo-suk dégaine en 2005 dans Science un article décrivant la création de 11 lignées de cellules souches obtenues à partir d'embryons humains. La planète est ébaudie. A tort. Hwang a tout fabriqué. A croire que le canular d'Alan Sokal n'a pas réveillé les consciences : en 1996, ce physicien new-yorkais propose à l'éminente revue Social Text un papier délibérément «truffé de non-sens». Il veut alerter sur la propension de la communauté scientifique à s'endormir sur ses palmes académiques. Titrée «Transgresser les frontières : vers une herméneutique transformative de la gravitation quantique», sa prose tutoie l'absurdité mais obtient son visa de parution. «Rien n'est plus proche du vrai que le faux», écrivait Einstein dans Comment je vois le monde. Une citation dont les tenants de la «recherche du presque» ont fait une religion. 

  • Article publié dans le magazine Marianne (822), du 19 au 25 janvier.

vendredi 8 mars 2013

Maurizio Cattelan, AGITATEUR PUBLIQUE de grand talent ou ARTISTE ?

    

Pour une posture éthique face à l'imposture artistique



R E – E V O L U T I O N
V  E  N  E  Z  I  A




(pour une posture éthique face à l'imposture artistique)
  


Re-évolution Venezia est née, il y a 5 ans, en réaction à la dérive spéculative dans laquelle s'inscrit désormais l'Art, et plus précisément l'Art contemporain, à l'initiative de 3 amis : Claude Lamoët, artiste, Alessandro Ferrara, acteur de théâtre, et Karine Trotel, journaliste. 

Leur constat avait déjà établi, il y a 8 ans, que l'avidité de gloire et d'argent a envahi le monde de l'Art au point qu'elle est devenue la motivation prioritaire et principale d'une grande majorité de ceux qui se prétendent et se font appeler "artistes" dès lors qu'ils ont une bonne idée, savent l'exprimer pour la vendre aux plus riches et qu'ils sont reconnus objets de spéculations financières, donc médiatiques, indécentes… et ce, au détriment de toute démarche artistique qui cherche à produire une œuvre unique, à la fois fruit et source d'un parcours plastique, intellectuel et émotionnel important, autant pour celui qui la met au monde que pour le monde qui la reçoit.    

Il est, par conséquent, très difficile même pour l'esprit avisé de discerner l'œuvre d'Art de l'élaboration marketing qui réussit à convaincre que du moment que l'objet fait parler de lui, crée la surprise médiatique, l'effet auprès du "grand public" et tout logiquement l'enchère financière d'investisseurs (*), il s'agit d'une œuvre d'Art. 
(*) entre parenthèses, investisseurs qui, pour le coup, se sentent faire autorité en tant que "collectionneurs d'Art", et à entrer dans cette grande famille, pour se blanchir eux même de tout ce qu'ils blanchissent déjà......

Marcel Duchamp doit se retourner dans sa tombe !... 
.... de n’avoir pas mesuré la portée de sa démarche, lorsqu’en 1913, pour provoquer l’autorité bourgeoise et l’ordre établi, il introduisait dans les musées ses ready-made – autrement dit “objets trouvés”, “objets déjà faits” – dénués de toute démarche artistique, les qualifiant d’œuvres d’Art parce qu’ils les exposaient dans un musée.
Certes, en ayant recours à cet artifice, il démontra son génie à maltraiter l'autorité bourgeoise,  et aussi à transgresser les normes et les codes, ainsi qu'à bouleverser l'Académisme.
Mais il le démontra si bien que la rigide bourgeoisie, qu’il provoquait alors, vit dans l'artifice et l’effet obtenu la meilleure expression de ses valeurs bourgeoises : apparences, gloire et d'argent faciles, et le prit au pied de la lettre...
Cent ans après les premiers ready-made, c'est en effet cette même bourgeoisie qui a soutenu et soutient encore tant d’imitateurs que la transgression en tout genre est devenue la norme... mais une transgression de pure surenchère, sans esprit et sans démarche, sans cadre et sans limite, vide, sans autre but que de faire parler d'elle et, est-il besoin de le noter, bien loin du génie et de l'esprit de Duchamp...

Loin de vouloir s'appesantir sur cette évolution, imposture déjà suffisamment pesante qu'a suivie spontanément l'histoire de l'Art - que désigne aujourd'hui la dénomination "Art contemporain"- et que tout le monde a accompagnée car elle est aussi l'histoire du monde actuelle, Re-évolution Venezia propose de l'enrichir en montrant que, si "Art contemporain" désigne avant tout cette évolution, il existe une seconde évolution, parallèle, une re-évolution qui s'est faite et affirmée en réaction à la première, et qui s'acharne à rester humble autant que la première évolution veut être sous les feux de la rampe ; une re-évolution menée par des artistes, en recherche de discrétion, car indépendants et intègres, dont le parcours personnel profond et humain aboutit à une vision inspirée par des moteurs bien plus profonds et importants que le succès et l'argent, cherchant à livrer au monde une œuvre puissante et unique, et qui dès lors qu'ils sentent qu'ils rencontrent le succès et la notoriété, cherchent à s'en protéger en évitant toute surenchère à travers la médiatisation, quitte à se retirer du monde de l'Art définitivement.
Ces artistes sont de plus en plus nombreux et défendent tous une vraie position, une posture pour une éthique de l'Art.
C'est à Venise, dans le cadre des dernières Biennales que nous les avons le plus souvent rencontrés, venant du monde entier mais ayant toujours la même attitude : nous avons pu observer leurs difficultés à se montrer eux-mêmes plutôt que de montrer leurs oeuvres et leur fermeture malgré l'engouement et la reconnaissance dont ils étaient l'objet, pour s'isoler de ce monde faussé par l'avidité, recherchant plus volontiers à se découvrir les uns les autres, organisant leur re-évolution de l'Art contemporain, avec humilité et fermeté.

C'est de ces artistes-là et surtout de leur histoire, de leur parcours, de leur re-évolution que nous souhaitons être les porte-paroles à travers Re-évolution Venezia, en respectant la discrétion qu'ils souhaitent conserver et en cherchant le moyen le plus juste de les mettre tout de même en contact avec le vrai public des amateurs d'art, simples amoureux de l'art ou clients et collectionneurs, qui ne sauraient être privés de la richesse que ces artistes transmettent au monde, que ce soit pour l'admirer ou pour l'acquérir. 

Re-évolution Venezia s'attachera donc toujours à présenter chaque artiste dans l'environnement qui est le plus en accord avec son désir de rencontrer le public et dans le respect de sa démarche, afin d'offrir au public la proximité la plus juste possible avec son œuvre. 

Re-évolution Venezia étant née à Venise, la première exposition de chaque artiste aura toujours lieu à Venise, avant de se déplacer dans une autre ville et/ou dans un autre pays. 

En multipliant les lieux d'expositions choisis en accord avec l'artiste, Re-évolution Venezia cherche à offrir à l'oeuvre la possibilité de s'exposer aux regards de divers publics, diverses sensibilités, diverses cultures, diverses attentes, divers connaissances, etc. qui parce qu'ils la reconnaîtront comme oeuvre d'Art par ses qualités artistiques, plastiques, techniques, émotionnelles, etc, la considéreront comme unique et donc propre, et chercheront à se l'approprier, l'enrichissant à leur tour par leur interprétation d'une valeur subjective, personnelle et donc humaine.... 

Celui qui regarde une oeuvre d'Art, qu'il a reconnu comme tel au départ, opère lui aussi un parcours personnel, profond et humain, par ce qu'elle lui envoie, qui varie selon sa culture, son niveau de connaissance, sa sensibilité, ses attentes... et qui complète celui de l'artiste... 
... et c'est ce parcours qui commence par le regard sur l'oeuvre qui donne justement à l'oeuvre d'Art sa valeur principale... l'enrichissement humain.... bien avant sa valeur d'investissement ou de notoriété de l'artiste

Cultivons donc ces divers parcours avec toute la finesse qu'ils exigent...